Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 29 novembre 2012

Famine et gaffophones géants


« Les caisses sont vides. » « Nous ne pouvons plus vivre au dessus de nos moyens. » « Il faut faire des économies. » « Je suis un élu responsable. » « Il faut être réaliste. » « On ne peut pas dépenser l'argent que l'on n'a pas. » 
Tu connais tous ces refrains, toujours la même musique et les paroles ne varient guère. La chanson-scie de la politique contemporaine justifie aujourd'hui la suppression de l'aide alimentaire à dix-huit millions de personnes. Parce qu'il y a dix-huit millions de personnes — rien que ça ! — qui dépendent des associations caritatives pour manger. Des associations qui n'en peuvent plus de voir la croissance à deux chiffres de leur clientèle. Des associations à qui l'Europe dit « Qué grands couillons, serrez donc la ceinture de vos protégés, c'est fini les orgies avec cent grammes de pâtes et une brique de lait UHT pour trois gosses. » Alors les associations préfèrent couiner tout de suite en quatre ou cinq langues avant que la famine ne dévaste le vieux continent. 

Bon, on t'a dit que les caisses sont vides. Mais ça n'empêche d'avoir des projets. Qui coûtent bonbon. Si tellement chers qu'on a des pudeurs de jeune fille effarouchée et qu'on minore le prix réel en oubliant notamment de compter les accessoires pour le rendre un peu plus présentable au pauv' contribuable qui ne comprend pas la grandeur de l'État. 
On n'a que l'embarras du choix des dingueries pour casser la tirelire. Un aéroport posé sur des coussins d'air pour lui permettre de flotter sur les marécages de Notre-Dame des Landes. En oubliant, parmi une foule d'autres menues bricoles, de compter le prix de trente kilomètres de voie ferrée. 
Un Iter au prix du platine — dix milliards pour un gaffophone géant même pas rigolo — dont le monde entier se demande à quoi ça peut servir hormis générer une pollution radio-active pour des millénaires. Un EPR dans le Cotentin dont même la construction fait se gratter la tête à Dédé le maçon qui continue à envoyer comme un métronome ses factures « A essayé, a pas pu, on recommence, tu prévois encore quelques dizaines de millions de roros de rab. » 
Rien que la carte de l'ensemble des projets ferroviaires te fait dire que plus d'un zozo a pris le menhir d'Obélix sur la tête. Une grosse vingtaine de lignes à grande vitesse en prévision dont on ne sait à laquelle décerner la palme de la plus loufoque. J'hésite entre la ligne pour relier une boulangerie de Toulouse au commissariat de quartier de Bordeaux et la très coûteuse ligne à voie unique ne pouvant pas transporter les marchandises entre Limoges et Poitiers. Dans les deux cas pour ne pas utiliser la voie historique Toulouse-Paris qui fonctionne pourtant à la satisfaction de tous ! Dans les deux cas en saignant à blanc l'arrière-pays qui ne sera plus desservi. Dans les deux cas pour drainer des passagers vers la ligne Bordeaux-Paris exploitée par... Vinci. 
Et puis il y a la ligne Lyon-Turin écrabouille-tout, un stade géant pour parquer les opposants, des grattes-ciel pour chatouiller les cumulo-nimbus, un centre d'enfouissement de déchets radio-actifs taquins, des zautoroutes en paquets de douze et encore plein d'autres machins au prix de l'or serti de diamants que toute la planète admire combien la reproduction des éléphants blancs en France surpasse désormais les plus fécondes contrées africaines.
Tout ça commence à agacer. Même parmi ceux qui pourraient roupiller au chaud dans un fauteuil confortable. Aujourd'hui on apprend que Michaël Moglia, conseiller régional socialiste du Nord Pas-de-Calais, dit adieu au PS et au groupe socialiste. Son geste est d'autant plus respectable que ses anciens camarades vont s'appliquer à lui pourrir la vie. Michaël Moglia devient objecteur de conscience. Le PS en est bien emmerdé. Il a déjà essuyé d'autres défections et du coup n'a plus de majorité au Conseil régional. Pourtant Michaël Moglia avait été clair. Et le disait avec plus de doigté qu'un zadiste crypto-anarcho-autonome tueur de mémés violeur de gardes-mobiles : « Notre ligne de conduite [...] doit être de donner toujours, en toutes circonstances, la priorité à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Voilà un fil conducteur, voilà le sens d'une politique de gauche en période de crise. » 
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Je cours de Loïc Lantoine, chanson pas chantée, et François Pierron, contrebasse. 

dimanche 25 novembre 2012

On ne veut pas de votre enfer





« Devant la tournure très conflictuelle qu'a pris le dossier du futur aéroport de Notre-Dame des Landes, le gouvernement a annoncé la mise en place dans un souci d'apaisement d'une commission du dialogue ». (Les journaux) 
Notre-Dame des fils de fer
Notre-Dame des routes et des ponts
Notre-Dame des oiseaux de fer
Notre-Dame des bêtes à béton
La mort des fermes et du bocage
La mort des chemins, des oiseaux
La mort des mares, la mort des vaches
La mort du lait, la mort de l'eau 
On ne veut pas de votre enfer
Hamon-Martin Quintet chante Notre Dame des oiseaux de fer. Le texte intégral de la chanson.  


vendredi 23 novembre 2012

Pèlerinage à Notre-Dame des Landes


« Dans la concertation » est le refrain de notre président de la République. Une certaine idée de la concertation...







Détruire, dit-il. Pour cinquante-cinq ans de profit de Vinci. On s'en souviendra le jour venu : faut surtout jamais me redemander de voter PS. Je deviendrais hargneux. Et je ressortirais des photos de concertation démocratique. 
Photos d'Alexandra Turcat que je remercie chaleureusement. On peut suivre ici son compte twitter  

Additif 1 : Basta ! consacre un article à NDDL que je découvre une nouvelle fois après ma publication. 
Additif 2 : Pierre Lieutaghi a publié L'environnement végétal en 1972 chez Delachaux & Niestlé. Un livre magnifique avec de très nombreuses pages sur la flore des zones humides et sur la raréfaction des zones humides. Quarante années plus tard on n'a toujours pas appris à lire chez les énarques. J'ai de la boue au fond du cœur.

vendredi 16 novembre 2012

Un éléphant blanc pour le jumelage de NDDL


« Au début des années 1960, les responsables économiques décident de développer un véritable aéroport, de manière à faciliter les relations d'affaires [...] » Jusque là tu connais la chanson. Elle a souvent servi.
« [...] mais il faut attendre le début des années 1970, pour qu'un projet solide voit le jour, alors qu'un tel service existe depuis des années dans les trois autres chefs-lieux de département [...] » Tu connais la chanson. Vous êtes rétrogrades alors que vos voisins sont modernes avec tous leurs zaéroports ! Le chantre oublie de préciser qu'avec dix zaéroports — rien que ça ! — autour et dans le département, pas un seul citoyen n'est à plus d'une grosse demi-heure heure de l'un d'eux !  
« Cette lenteur a certainement favorisé l'importance de l'opposition à sa réalisation [...] » Ce n'est pas son inutilité, son coût pharaonique et la destruction de terres agricoles...
« Les opposants [...] brandissent une argumentation [...] qui ne paraît guère convaincante : l'aérodrome ne bénéficiera qu'à un petit nombre de privilégiés, de patrons, et non à la masse des habitants [...] » Ben ouais, toi aussi, tu prends l'avion tous les jours pour aller pointer à l'usine, au bureau ou à Pôle-Emploi. 
« [...] il manque une vision réaliste des choses, une compréhension des réalités économiques du monde actuel, de la hiérarchie des urgences économiques. » Le chantre n'a pas de mots assez durs pour flétrir les opposants à cet aéroport et les braves gens qui n'entonnent pas la chanson du progrès. 
Tiens, je te remets quelques louches de sa touchante compréhension de ceux qui ne pensent pas comme lui : « cette lenteur dans la prise de conscience [...] ce repli frileux sur soi, sur ses habitudes, sur ses intérêts particuliers à courte vue [...] une insuffisance de dynamisme économiquement suicidaire [...] son insuffisance d'ouverture d'esprit à ce qui se passe autour de lui [...] » Les opposants à un nouvel aéroport ne sont pas loin d'être des demi-débiles... 
Tu ne l'as peut-être pas deviné mais il n'est pas question de Notre-Dame des Landes et cela n'a pas été écrit voici peu mais en 1986 à propos de l'aéroport de Brie-Champniers près d'Angoulême en Charente. 
On pourrait continuer à citer ces propos de bistrot juste avant la fermeture vespérale mais il est plus intéressant de savoir ce qu'est devenu l'aéroport de Brie-Champniers.
Des mécréants doutaient fort que l'aéroport allait « accroître les atouts de l'agglomération ». Les Paysans Travailleurs (des ancêtres de la Confédération paysanne), des syndicats ouvriers, la gauche dont le Parti socialiste, ont manifesté, occupé les lieux. En pure perte. 
Ouverture de l'aéroport en 1984. Au début vols réguliers vers Paris et Lyon. Le contribuable paie le déficit d'exploitation de l'aéroport sous-utilisé.  Puis la SNCF supprime les passages à niveaux de la ligne Paris-Bordeaux, c'était prévu de longue date, et les vols réguliers vers Paris se font bouffer aussitôt par le train.  L'offre ne crée pas la demande... Reste la destination Lyon. Le contribuable paie le déficit d'exploitation. Puis la compagnie aérienne bat de l'aile et cesse son activité à Angoulême. Le contribuable paie le maintien en survie de l'aéroport. 
Après un temps mort on finit par appâter Ryanair, compagnie aérienne à bas coût. Qui demande et obtient un million et demi d'euros de travaux. Financés par le contribuable. Qui demande et obtient huit cent mille euros d'aides marketing pour faire voler ses navions. Payés par le contribuable. Mais c'est pas assez et, après quelque temps d'exploitation, Ryanair demande encore cent cinquante mille euros de plus. Le Conseil général de la Charente trouve que ça commence à faire trèèèèèèèèèèèès beaucoup et refuse. 
Ryanair, fâché, part sans prévenir. Le contribuable, bon enfant, paie à nouveau l'entretien d'un aéroport qui sert aux corbeaux et parfois à quelques planeurs ou avions de tourisme. Les éléphants blancs ne sont pas l'apanage de contrées africaines pillées par Bolloré.
Aujourd'hui on a trouvé Flybe, une compagnie à bas coût, qui devrait ouvrir une ligne en 2013. Pas toute l'année, faut pas rêver, juste durant la saison touristique. Vers l'Angleterre. Ou peut-être l'Irlande. On ne sait pas encore. Mais ce qui est sûr c'est que le contribuable devra encore payer les aides marketing demandées. Et l'entretien de l'aéroport.
Tu me diras que plaie d'argent n'est pas mortelle. Surtout si ça développe l'économie et que ça stimule la croissance. Aie ! Ouille ! Ouh, là aussi docteur, ça fait mal ! L'aéroport a été bâti pour des entreprises pleines d'avenir, porteuses de croissance et pourvoyeuses d'emploi... aujourd'hui toutes défuntes après avoir défrayé la chronique sociale par leurs licenciements massifs. Et, réponse subsidiaire à la question que tu n'as pas posée, elles n'ont pas été remplacées par de prometteuses jeunes pousses. 
Le jour où l'on décidera de fermer Brie-Champniers — et ça viendra car la planète entière se demande bien ce que la France peut foutre de cent cinquante aéroports ! — le contribuable paiera encore parce que le terrassement pour en refaire des terres à blé ne sera pas gratuit. 
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Les citations proviennent d'ici : Caractères structurels et spatiaux de l'industrie dans l'agglomération d'Angoulême — Le cadre de vie, l'espace et l'homme —, Jean Comby docteur en géographie, Norois 1986. Pas la peine d'être docteur en géographie pour aligner autant de banalités affligeantes.

Après publication de ces lignes je lis un excellent article de Basta ! à ne pas manquer. Ça doit être une conformation du poignet : comme d'hab je me suis occupé du lumpenprolétariat. Tandis que d'autres se sont intéressés à des un peu moins mal lotis... 
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Un étendard des étendus / Ami t'ai-je bien descendu / Trente cadavres le baril / Un début de guerre civile. J'aurais aimé pouvoir te proposer Un étendard des étendus excellente chanson extraite de l'album En attendant des jours pires... Mais Pascal Mathieu est peu présent sur la toile et c'est bien dommage. Voici une pochade dont il est aussi le compositeur à rebours de ses habitudes.

lundi 12 novembre 2012

Ça sent le choc de compétitivité


Les hasards de la conversation nous font démarrer la soirée sur le panier de « la ménagère » même si, en l'occurrence, ce sont les hommes qui discutent du prix des commissions. 
— J'ai acheté des carottes, des patates, des oranges. Des bricoles, quoi ! Juste le fond d'un cabas. J'en ai eu pour quinze euros et pourtant c'était au Liddl du quartier, pas chez Fauchon à Paris...
— M'en parle pas ! Je suis passé au supermarché cet après-midi et j'avais oublié ma carte bancaire. Avec cent euros sur moi je pensais que cela suffirait. Le fond du chariot à peine couvert, je vous prie de croire que je n'ai pas pris du caviar et un homard, et la caissière m'annonce cent deux euros et des centimes. J'ai beau savoir que les prix augmentent de façon délirante, j'en étais quand même sur le cul. Il m'a fallu retourner à la voiture chercher de la mitraille pour compléter. 
— Les magasins répercutent l'augmentation quand les prix mondiaux du riz explosent. Puis la spéculation passe à autre chose, les prix se stabilisent mais les magasins ne répercutent pas la baisse du prix de gros. Et puis, quand les prix mondiaux recommencent à valser, l'étiquette du riz en boutique reprend son ascension vers les sommets. Sans avoir connu la baisse... 
Les conversations, tu sais comment c'est. On passe d'un sujet à un autre sans même s'en apercevoir.
— Tu sais que Machin SARL, où travaille Bernard, est en cessation de paiement depuis mardi ? Une des deux dernières boîtes de la région dans leur domaine d'activité. Il y a soixante-quinze salariés dans la boîte, alors si Machin ne trouve pas les roros pour redémarrer, ce sera autant de chômeurs en plus. Et Truc SA, l'autre boîte du secteur, ne va pas bien non plus. Xavier, qui y bosse, me dit que ça sent le sapin presqu'aussi fort que chez Machin SARL.
— Si je comprends bien nous n'aurons bientôt plus une seule entreprise de ce secteur dans la région alors que c'est pourtant une activité qui ne se délocalise pas, même dans une région voisine !
— Faut dire que dans le département il y a plus d'une faillite par jour depuis le début de cette année. Même la Chambre de commerce s'en inquiète ! Que des petites ou moyennes entreprises dont pas un journal ne parle parce que cela ne fait pas des centaines ou des milliers de licenciements. N'empêche que l'addition de tous ces licenciements est croquignolette. Le nombre de clients s'en ressent...
— D'autres à s'en rendre compte sont les commerçants. T'as vu combien de magasins sont fermés rue Jaurès ? Une rue piétonne du centre-ville ! 
— Ah ça les petits commerces dégustent ! Mais les hangars des zones en périphérie ne sont pas en reste. T'as vu combien il y a de bâtiments fermés avec des panneaux d'agences immobilières ? Dans la Zone Est, le bâtiment, c'est même la vedette des articles à vendre ! Y'a plus de magasins et d'ateliers à reprendre que de bâtiments en activité !
— Faut dire que là-bas les corbeaux volent sur le dos pour ne pas voir la misère. Les premiers bâtiments ont été abandonnés voici plus de dix ans à en juger par la taille des arbres qui ont émergé des ronces... Faudrait être taré pour y ouvrir maintenant une activité quelconque où tu as besoin de faire venir la clientèle ! Il n'y a plus que des hérissons et des taupes sous les ronciers entre quelques ateliers encore actifs. Pôle-Emploi a eu une idée lumineuse d'installer un bureau au milieu de ce désert : l'arrêt de bus le plus proche est à un kilomètre, ça permet au chômeur de réfléchir en marchant...
Les gamins nous font un petit spectacle. Présentés par une princesse cowgirl dresseuse de Pokémons sauvages, les chevaliers pirates du cyberespace naviguent entre hip hop, capoeira et jonglage tandis que le chat apeuré se terre sous le divan. 
— J'ai engueulé mon patron parce qu'il a cessé d'acheter nos fenêtres en France. Maintenant on pose des fenêtres fabriquées en Roumanie. Trois à quatre fois moins chères pour une qualité à l'allemande. Le patron nous a expliqué que c'était ça ou bien arrêter la pose de fenêtres. En rénovation trop de clients renonçaient devant le montant des devis... Et en neuf, c'est le plus souvent la banque qui dit niet au projet de construction. Quand le fabricant français aura perdu trop d'entreprises clientes comme la nôtre, il mettra la clé sous la porte. 
— Et vous suivrez quand il n'y aura plus assez de salariés pour vous commander des travaux...
— Tu crois que c'est ça, le « choc de compétitivité » du gouvernement ?
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La blogueuse corOllule ne marche bien que pieds nus. Elle cite et incite à lire Nicolas Soulier et Jane Jacobs, des noms à découvrir, qui ont écrit comment la vie sociale informelle transforme rues et villes en endroits où l'on aimerait vivre. Comment l'absence d'initiatives permises aux habitants tue la ville. C'est passionnant même si, comme moi, tu es ignare en urbanisme. 
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Francky de Thibaud Couturier. L'équipe de rédaction d'un guide touristique a longuement et systématiquement testé l'accueil des bistrots toulousains. Enivrant ! ;o) 

vendredi 9 novembre 2012

« Les SDF et le retour du froid »


L'hiver arrive avec son marronnier — un sujet bateau de journalisme qui revient à date fixe. Je m'occupe du bas du panier des laissés pour compte : punks à chiens, zonards en camion, clodos, toxicos, vieillards glaneurs, tous rangés sous le vocable « SDF ». Alors des journalistes me téléphonent en début d'hiver pour que je leur fournisse un peu de « SDF ». 
Sans s'être concertés, les militants des associations caritatives de ma ville refusent le contact avec les journalistes, refusent de jouer les entremetteurs, refusent la venue de journalistes dans leurs locaux. Un front sur lequel se brisent les demandes. Marre des media qui traitent la question du logement sous le seul angle des « SDF » et du « froid ». Marre qu'ils ne demandent jamais aux politiques pourquoi ils ne construisent pas les deux millions de logements qui manquent et les quelques millions de logements qui devraient vite remplacer passoires thermiques et habitats vétustes. Ou pourquoi les politiques n'appliquent pas la loi de réquisition des logements vides...
Un journaliste, plus opiniâtre que les autres, se plaint d'avoir été éconduit par tout le monde et essaie de m'amadouer. Il me téléphone à plusieurs reprises sans doute parce que je ne l'envoie pas paître. En pédagogue gentil je lui explique notre infinie lassitude de voir toujours le seul même angle journalistique depuis 25 ans. Angle qui provoque un rejet viscéral de sa corporation. 
Pourquoi ne fait-il pas un sujet sur la construction de logements alors que la ville va consacrer cinquante millions d'euros à la création d'une piscine supplémentaire et soixante millions à la rénovation d'un stade parmi d'autres dépenses aussi importantes ? Pourquoi ne fait-il pas un sujet sur le coût des loyers déconnecté des salaires, sur la folle inflation des charges locatives, sur l'évolution comparée du coût du chauffage et des salaires ? Pourquoi ne fait-il pas un sujet sur l'urbanisme qui construit des logements très éloignés des lieux de travail, sur la myriade des petits « plans sociaux » et des faillites qui mettent des milliers de personnes au chômage dans notre agglomération ? Pourquoi ne pas parler des quarante mille lits supprimés en psychiatrie en vingt ans et se demander ce que sont devenus « les fous » sans famille ? 
Mais non ! Ce journaliste veut absolument du « SDF par temps froid ». J'ai beau lui expliquer que, si je lui fournis le spécimen librement consentant qu'il me demande, le pauvre diable risque fort d'être tricard dans la ville. Si la police lui mène une vie épouvantable il n'aura comme solution que de partir. Tiens, à propos, va-t-il consacrer un sujet à la chasse aux pauvres où la police locale est très performante ? Passera-t-il un sujet sur A et B racontant leurs quatre fouilles à corps en quatre heures ? Ils ont quitté notre ville et c'était bien le but recherché. Passera-t-il un sujet sur C racontant que la police l'a réveillé, lui et ses frères de misère d'un pays en guerre civile, pour leur demander leurs papiers toutes les deux heures pendant plusieurs nuits d'affilée ? Ils sont tous partis de notre ville. Passera-t-il un sujet sur D qui a séjourné près de trois jours au commissariat pour un larcin alimentaire parce qu'il avait « trop faim pour attendre jusqu'au 5 » ? (Le RSA arrive le 5 de chaque mois.) 
Fera-t-il un parcours touristique de la ville montrant le « mobilier de dissuasion », tous ces dispositifs pour empêcher de se réunir, de s'allonger ou de s'asseoir sur lesquels buttent zonards, clochards, squatters, pauvres, mais aussi les vieux  et les handicapés ? 
Passera-t-il un sujet sur le travail de la Fondation Abbé Pierre qui a consacré au mal-logement dix-sept rapports annuels — plus de deux cents pages nouvelles et un nouveau thème à chaque édition ? Il y trouverait matière à informer. Sait-il qu'il y a autant de morts dans la rue été et hiver ? Sait-il que le froid n'est qu'un responsable marginal des morts de la rue ? Et sait-il que pas mal des morts de froid ont choisi de mourir, ont choisi le suicide ? Sait-il que la question du logement concerne dix millions de personnes et pas seulement les quelques centaines de morts de la rue recensés chaque année ? Sait-il que plus d'un Français sur dix se gèle l'hiver dans son logement faute de pouvoir se chauffer ? Sait-il que des instits mesurent la température des logements où vivent les gosses au nombre des pulls qu'ils portent en arrivant à l'école ? Ne pourrait-il pas exposer quelques uns de ces faits ? Pour changer...
Nous avons fini en bons termes, je suis resté courtois, mais, ça me désole, il n'a pas compris... Ce journaliste, ce qu'il voulait, c'était faire du sensationnel, faire un entretien avec un « SDF ». Comment pourrons-nous faire comprendre l'agacement, l'énervement, la colère, la violence même que cet obscène marronnier voyeuriste suscite ?
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L'essentiel du mal-logement et de la crise du logement en une page de chiffres et trois pages de commentaires par la Fondation Abbé Pierre.  
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Lothringen par Louis Arti en 1978. « Parle tes langues, Lorraine / Lorraine, parle tes langues ! [...] Des étrangers ont écrit sur tes murs / La Lorraine ne crèvera pas. » C'était la Lorraine de la mine et des usines...