Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

dimanche 6 janvier 2013

Assises pour l'écosocialisme (3)


Pendant les événements, Jean-Jacques, appelé du contingent, a été rapatrié d'Algérie dans un état désespéré. Finalement il est ressorti vivant du Val-de-Grâce. Amputé d'un bras et boiteux. Plus question de prendre la succession de son père artisan. 
Troll est, comme elle le dit, une zonarde. Ou une punk à chiens comme disent ses voisins. Une enfance bien bien fracassée lui a mis la tête à l'envers. Abonnée à vie aux courts séjours en hôpital psychiatrique, séropo, tuberculeuse. Troll n'a jamais travaillé et tu ne demandes pas pourquoi si, en plus, tu vois ses problèmes de motricité.
Marcel est tombé de son cerisier en le taillant. Mauvaise chute : il en est resté tétraplégique. Fin brutale d'une carrière d'ouvrier modèle.
Christine a commencé à dévisser vers l'âge de quatorze ans. Sa mère a de suite alerté psychiatre et compagnie. « Patientez, elle est un peu borderline, votre fille, mais c'est l'adolescence, patientez... » Christine a tout de même décroché son bac mais a complètement disjoncté dans la foulée. Depuis, plus personne ne discute ou ne relativise les inquiétudes de sa mère : Christine est schizophrène parmi d'autres pathologies.
Frédéric n'en peut plus des petits boulots et des petits contrats en région parisienne. Il part vers la Méditerranée en se disant que, même s'il conserve la précarité, il aura le soleil en plus. Mauvaise pioche : ils sont très nombreux à avoir eu la même idée. Rude compétition pour les rares emplois mal payés auxquels il est habitué. Le RMI, puis le RSA, est devenu sa source presque unique de revenu. À force de tutoyer la misère Frédéric a un peu dérapé et s'est mis à écouter les étoiles. 
Muriel a presque perdu l'usage de ses jambes pendant l'adolescence. Le fauteuil roulant ne la quitte plus.
Aux Assises pour l'écosocialisme il y a eu un débat animé. Ainsi nous avons entendu que, dans les rangs du Parti de gauche, certains traînent franchement des pieds quand on parle de l'idée d'un revenu d'existence versé sans condition et sans contrepartie. 
Eh bien j'aimerais demander à ceux qui sont debout sur le frein comment ils font pour rentabiliser une schizophrène, pour récupérer le retour sur investissement en hospitalisation d'un tétraplégique, pour obtenir une quelconque contrepartie d'un doux dingue. Que fait-on de tous les improductifs qui le resteront quoi qu'il arrive ? 
Naguère un mutilé de guerre pouvait bien crever de faim. Depuis la première guerre mondiale — pas vérifié mais ça ne doit pas être beaucoup plus ancien — on a jugé que le pays devait lui prêter assistance. Et on a ainsi bricolé au fil du temps un système-parachute pour chaque cas de figure dont on pensait qu'il devrait dorénavant être pris en charge par la collectivité et non plus par sa seule famille. S'il en a une.
On se retrouve aujourd'hui avec des douzaines de systèmes. Où le même éclopé sera bien mieux traité s'il est mutilé de guerre que s'il est mutilé du travail. Mieux traité s'il était ouvrier que s'il n'a jamais travaillé. Parce que ces systèmes, même si ce n'est pas explicite, fonctionnent au mérite. Et que l'on considère que certains sont plus méritants que d'autres...
Des systèmes dont la gestion est coûteuse. Des systèmes où plus personne, travailleurs sociaux compris, ne se retrouve. Des systèmes inquisitoriaux qui violent la vie privée comme l'écrit ce texte qui informe en détail sur le RSA. Des systèmes-parcours du combattant qui découragent les ayant-droits potentiels de faire une demande. 
« Plus efficace que les minima sociaux, un revenu inconditionnel concrétiserait surtout un authentique droit au revenu, quittant le champ de la solidarité et de l'assistanat pour celui de la justice sociale. Il entraînerait ainsi la disparition de la stigmatisation  liée au versement des minima sociaux et autres allocations versées au titre de la solidarité nationale. » (Baptiste Mylondo, Pour un revenu sans condition, Éditions Utopia, un excellent petit livre acheté lors des Assises pour l'écosocialisme.)
Naguère un oncle clamait à la cantonade avec une gestuelle expressive qui appuyait son propos : « Les vieux, ça coûte et ça rapporte plus rien. Il faut les tuer ! Tous ! » Après avoir ainsi jeté un froid polaire sur son auditoire, il précisait : « Dès la naissance ! » 
Les éclopés, les improductifs, on en fait une myriade de Jean Valjean ? On les tue tous ? Ça ira plus vite. Ou bien on dit que la société a le devoir d'assurer une vie digne à tous ses enfants, tous, sans davantage prendre en compte leur productivité ou leur utilité sociale que leur couleur de peau, leur sexe ou tout autre critère de sélection ?
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« Comme on a les mêmes choses sur le cœur / Un jour on pourrait chanter en chœur. » Manifeste, François Béranger. 

4 commentaires:

  1. Concernant le salaire à vie (une variante du revenu de base), on ne saurait trop conseiller l'écoute de Bernard Friot.
    ( à voir : http://www.reseau-salariat.info/ )

    Cordialement,

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    1. Dans son livre Baptiste Mylondo cite Bernard Friot à de nombreuses reprises et fait état des discussions qu'ils ont eu. ;o)

      Merci pour le lien.

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  2. M^me au parti de gauche , yen a qui font peur !!
    ( monde indien )

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    1. Comme les autres partis, le Parti de gauche n'est composé que de gens de la classe intermédiaire. Ces 20% de gens entre les riches et le prolétariat. Ces "petites mains du capitalisme" qui font tourner la machine. Notre boulot est de dire et redire encore à ces 20% que certaines de leurs vieilles lunes n'intéressent guère que des gens qui n'ont pas d'autres soucis plus sérieux.

      Ainsi la laïcité ne court pas de danger — le catholicisme est agonisant... — mais dix millions de personnes sont en délicatesse avec le logement et ça, on n'en parle guère à gauche. Il nous faut dire et redire que emploi, revenu, logement, santé — et leur financement — présentent l'essentiel des préoccupations de près de 80% de nos concitoyens. Et que la gauche nous amuse trop souvent avec des vétilles. Ou la découpe de cheveux en quatre...

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