Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 26 juin 2014

Au secours, papa, j'ai vu un socialiste !






















Une photo à regarder bien bien bien. Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération Paysanne, est plaqué au sol par des gestapistes. Ne râle pas devant ce mot : ce n’est pas moi le responsable de leur coupe de cheveux à la mode du Troisième Reich. 

Un gars très dangereux. Laurent Pinatel voulait parler au ministre de l’agriculture et c’est pour cela qu’il se retrouve traité comme un bandit.

Une question. Tu imagines Pierre Gattaz, le porte-parole du Medef, subir le même traitement parce qu’il veut causer à un quelconque ministre ?

Un détail historique (qui va t’amuser). La Confédération Paysanne est née du mariage en 1987 de la CNSTP, confédération des travailleurs paysans, et de la FNSP, fédération des syndicats paysans. Ce papa FNSP était né en 1981 — retiens bien cette date, elle a son importance — des militants paysans d’une organisation  nommée « Parti socialiste ». 

Une grosse commission (à te déchirer le trou du cul). Vers 1981 le « Parti socialiste » connaît quelques succès électoraux. Tout content, il imagine changer quelques bricoles de ci de là. La commission nationale agricole du « Parti socialiste » invite des non-adhérents, pour leurs compétences, à venir plancher régulièrement à ce sujet. C’est ainsi que Yves Manguy, membre de la CNSTP, siège aux réunions de travail de ladite commission. Yves Manguy qui deviendra, en 1987, le premier porte-parole de la Confédération Paysanne.

Une photo à bien regarder pour ne jamais oublier cette leçon de l'Histoire. Aujourd'hui fait pas bon avoir eu un papa socialiste. Aujourd'hui, si par malheur tu croises un socialiste contemporain, change de trottoir. Et s’il t’invite ici ou là, mon petit garçon, prends la fuite. Tu sais maintenant comment ça se termine.
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Gilles Roucaute chante « J’ai voté Front National ». Si son choix ne te convient pas, prends néanmoins le temps de l’écouter jusqu’au bout pour savoir comment ça se termine.

dimanche 15 juin 2014

« Tu resteras bien manger la soupe avec nous »

La gauche fonce dans le mur en chantant toujours les mêmes cantiques / 9
« Manger la soupe » demeure, dans le langage populaire, la manière la plus simple, et la plus juste, de décrire le repas quotidien. Même lorsque ce repas, comme certains soirs d'été au retour des grands travaux des champs, est un véritable banquet où se suivent les viandes, les poissons, et les bouteilles fines. Tout ce que l'on en retient, tout ce dont on fait état pour inviter quelqu'un à l'honneur de partager sa table, la joie de la moisson faite, la fierté de la récolte rentrée, tout ce qu'on lance au voisin qui a aidé, à l'étranger ou à l'ami que l'on veut retenir, c'est : « Vous resterez bien manger la soupe avec nous ? »

« Attention ! Nous sommes loin de l'offre désinvolte que l'on se fait trop souvent en ville : « Il faut absolument que vous veniez dîner à la maison, un de ces jours ». Ou entre hommes d'affaires : « Déjeunons quand vous voudrez ». Boutades hypocrites auxquelles il ne sera peut-être pas donné suite…

« Ici, l'on use pas de réserves mentales. « Restez manger la soupe » veut dire : « Vous êtes des nôtres. Restez pour partager avec nous, ce soir, non seulement la joie exceptionnelle de la fête, les vins et les rôtis, les charcutailles maison et les tartes rustiques, mais surtout ce qui fait d'ordinaire notre ordinaire, cette chose infiniment simple et humble et sans valeur marchande et commerciale, mais qui, à elle seule, nous faire vivre : la soupe ». 

Ainsi commence un livre de cuisine trouvé au hasard d'un vide-grenier. Lo topin de la Marieta (La marmite de la Marieta) de Françoise et Luc de Goustine, n'est pas un banal recueil de recettes et multiplie de telles remarques judicieuses. 

La compétition effrénée est la norme de notre société capitaliste. Les esprits en sont marqués au fer. Media comme politiciens ne cessent de nous opposer entre nous. Jeunes contre vieux, blancs contre basanés, « Gaulois » contre étrangers, de vague culture chrétienne contre tout aussi vaguement musulmane, hétéros contre homos, femmes contre hommes, « lève-tôt » contre chômeurs. Tu trouveras bien trois cents douzaines d'oppositions. 

La moindre virgule est prétexte à engueulades entre militants. Ré-instaurer parmi nous la culture du débat paisible, serein, courtois. Recréer entre nous la confiance qui fait défaut.

Ça passe par la discussion ? Mouais. Ça passe surtout par la fraternité d’une table partagée. Quand tu manges avec quelqu'un, vos divergences de vue restent courtoises. Peut-être même découvrirez-vous à force de tablées communes une proximité insoupçonnée. Un étatiste finira par accepter l'initiative créatrice d'un autogestionnaire et cessera de lui balancer dans la gueule que « c'est du privé » qu’il faut détruire au nom de la défense des services publics. Un républicain obsédé par les « Lumières » entendra qu'un libertaire n'est pas un affreux obscurantiste même s’il ricane de loupiotes s’accommodant si bien des diverses variantes du despotisme éclairé

Ce qui vaut pour le cercle des militants vaut pour tous. Après les branlées à répétition encaissées par la gauche nous devons larguer nos foutus tacots poussifs pour d'autres modèles. Oublier les certitudes. Oublier les catéchismes des chapelles rouges vertes noires. Cesser les homélies fort bien argumentées mais entendues par les seules grenouilles de bénitier rouge vert noir. Combien de textes savants — de leçons de catéchisme — sur les raisons de nos dernières branlées ? Ça fait trente ans qu’on en lit… T'en as pas marre de ces sermons ? T'en as pas marre des raclées et des régressions ?

Alors tourner la page. Rêver de nouveau. Faire deux exercices très difficiles pour des militants. 1) Se taire. Rester silencieux. Ah ça oui, je te l'ai dit, c'est trèèès difficile ! 2) Écouter. Se contenter d'écouter. Ah ça oui, c'est trèèès dur pour bien des militants. Écouter les voix discordantes dans un cadre où elles oseront s’exprimer. Revenir aux sources. Manger ensemble. Pas de banquets empesés servis par des traiteurs appointés. Pas de musique d’ambiance. Non, une simple tablée le militant muet écoute. Le menuisier et la caissière, le facteur et la chômeuse causent en partageant la soupe, « cette chose infiniment simple et humble et sans valeur marchande et commerciale, mais qui, à elle seule, nous faire vivre. »
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Photo Des pas perdus, fournisseur officiel de pixels. Dans la veine de la bafouille du jour, la chanson du jour, « Les marchands » de et par Georges Moustaki.

mardi 10 juin 2014

La France vit au dessus de ses moyens


File d’attente à la caisse de SuperTruc. Devant la caissière trois loulous disjonctés. La crème de la crème des zonards. Des cas en or pour la corporation des psys. Qui, du reste, les connaît bien : ils fréquentent l’hôpital psychiatrique de jour. Le plus mûr a des chaussures à bascule à s’écrouler si tu lui souffles dessus. Le deuxième a consommé sévère, sûrement pas que de la bière, mais parvient à rester debout. Quasi plié à angle droit à regarder ses pieds qu’on se demande toujours comment on peut défier ainsi les lois de la pesanteur. 

Ils ont fait les commissions. Sur le tapis de la caisse une bouteille de rosé trône au milieu des boîtes de bière. 

La caissière téléphone à la caisse centrale. Pendant qu'elle enregistre les achats — trois comptes séparés : faut discuter pour déterminer qui paie quoi — Swann va faire un tour à la caisse centrale avec sa bouteille de rosé, revient, recause à la caissière. Swann porte des vêtements corrects, semble à jeun ou presque et c’est pas la première fois que je le vois ainsi ces derniers temps. Il se comporterait presque comme le gendre idéal et fait la morale à ses acolytes qui se tiennent pas comme il faut. Enfin bon, tu sais ce que c’est avec la caissière qui veut absolument faire payer toutes les bières, le temps passe vite. Et la file s’allonge. Et les clients s’impatientent.

Ouf, les voilà enfin partis tous les trois au rythme d’escargots asthéniques. Chaussures à bascule pris en cheville entre Équerre à grand gabarit et Swann, le seul conscient que ça sent le roussi, qui fait ce qu’il peut pour faire avancer son petit monde. Swann s'est peut-être acheté une conduite. N'empêche qu'à 26 ans — qui en paraissent bien vingt de plus — on ne le voit pas apte au moindre effort physique...

Dehors les attendent trois voitures avec des gyrophares bleus et des uniformes que je vais pas te dire combien y’en avait : ça ferait trop de chagrin aux ceusses qui veulent diminuer le nombre des fonctionnaires et réduire le train de l’État. Une nuée de keufs. Pour trois loulous incapables de courir deux mètres sur terrain plat. 

Bon, je voudrais quand même rasséréner le contribuable qui sommeille en toi : les frais kilométriques ne sont pas extravagants : le commissariat est juste à l’angle du parking de SuperTruc. 

Les keufs passent les bracelets à nos trois compagnons et les embarquent. On note au passage que les keufs portent des gants spéciaux pour pas choper la chtouille. Des gants, qu'on ne perce pas avec une aiguille, qui doivent coûter bonbon.

J’insiste sur l’aspect commercial de cette aventure. SuperTruc a fait payer les commissions de mes zonards avant l'arrivée policière. Y’a pas de petits profits ma brave dame… comme on dirait à la caisse centrale qui a appelé la flicaille.

La France vit au dessus de ses moyens. Dans les zéconomies à faire pour compétitiver à donf sur le marché mondial, Partageux propose de remplacer chaque escouade de keufs — munis de trois voitures à gyrophares partout, plus artillerie pour temps de guerre, plus uniformes, plus bracelets et gants spéciaux, tout ça aux frais du contribuable — par un seul psychiatre qui paiera sa garde-robe sur ses propres deniers. Ce sera bien moins cher, beaucoup plus efficace et, accessoirement, un peu plus humain. 
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Photo Des pas perdus. Entre deux caisses chante Les bêtes à cornes d’Allain Leprest. C'est extrait d'un concert pour enfants avec les chansons d'icelui.

mardi 3 juin 2014

Du côté de chez Swann

La tête rasée, des tatouages partout, des fringues façon Tintin après des aventures qui ont maculé, sali, déchiré. Swann a 19 ans la première fois que je le rencontre. Marche à côté d’un vélo de luxe. Le maraudeur qui m’accompagne connaît l’oiseau.

— Facile à tirer ?
— Putain non ! Deux antivols à niquer… Et des putains d’antivols !
— T’en veux combien ?
— Vingt euros. J’ai vu seulement après avoir niqué les antivols que le salopard avait aussi enlevé sa selle pour qu’on lui fauche pas. Fais chier ! Avec la selle j’en aurais tiré cinquante euros.
— Bah ! Tu restes compétitif pour un bijou qui tape à largement plus de mille balles en magasin…
— Ouais, mais moi, me faut la thune maintenant. Pas demain matin. Alors faut bien qu' j’adapte le prix à mon acheteur qui va surtout voir la selle qui manque… 

Swann a passé son enfance balloté de foyer en foyer. Personne n’a songé à le retenir au delà de ses 18 ans. Bon, le matériel, ça se remplace, on a une ligne budgétaire pour ça. Mais les éducs ont pas trop le goût pour la boxe sauvage. 

Alors, depuis, Swann squatte ici ou là. Un voisin le voit entrer dans une caravane sous un hangar. Va prévenir la dame de la Croix-Rouge sise juste à côté. Ça part d’un bon sentiment. C’est mieux que d’appeler les keufs. 

— Swann ! Je sais que t'es là ! Sors ! Tout de suite !
— Putain, con, merde, fais chier ! Qui c’est le salaud qui m’a cafté ? fait Swann de l’intérieur de la caravane.
— Personne. Y’a que toi pour faire ça ! C’est toi qui fais chier ! 

La dame souhaite conserver de bonnes relations avec le voisinage. Elle connaît bien sa clientèle. Y’en a pas un autre, dans tous ses protégés, pas un autre qui viendrait squatter le hangar juste à gauche de la Croix-Rouge quand juste à droite de la Croix-Rouge une maison à l’abandon fait portes ouvertes à la zone à iroquoises et treillis sans que personne n’y trouve à redire.

On croise Swann un soir de teuf. Ça fait bien dix fois que je le rencontre au même coin de la même place mais il ne me remet pas. Le bras rouge-violacé enflé comme un boudin XXXL. Ça lui fait un mal de chien. Un shoot qui a merdé sévère. On lui conseille les urgences. Pas sûr qu’il y soit allé. Mais peut-être que si finalement. Automédication impossible. À cette heure de la soirée on ne plus engourdir discret une boîte de paracétamol dans une pharmacie pour avaler dix ou vingt comprimés avec une boîte de 8,6. [Incise pour ceux de Guermantes, 8,6° c’est le degré alcoolique de la bière attitrée du zonard.]

Swann n’a guère plus de vingt ans quand le juge l’envoie au château pour lui apprendre les bonnes manières. Une année de sevrage à la dure pour un polytoxico. La zonzon, une église dit que c’est pour l’exemplarité. Une autre chapelle, que c’est pour la dissuasion. Une autre encore, pour l'éducation.

Le jour même de sa sortie de prison, Swann a tellement abusé de tout ce qui se fume, se sniffe, s’ingère, s’injecte, qu’il est resté à comater dans une cave les quatre jours suivants
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Photo Des pas perdus. Elisabeth Wiener chante depuis les alentours de 1970. Créatrice d'un groupe de meufs qui sillonnait les routes sous le nom de Castafiore Bazooka. Ici, le groupe, dans le droit fil de sa tradition personnelle, se nomme Callas Nikoff. En vrac elles chantent : Il est vraiment chelou ce keum ripou / Qui vient déro autour de ouam / Fait iech ce keum / Il est vraiment zarbi / Sa chetron me donne le sonfri / Sa chetron de gleubi / Me donne la chair de lepou.