Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

vendredi 9 janvier 2015

Nous ne sommes pas Charlie

Je suis Charlie ? D’abord la sidération. Cet immense battage médiatique où les voix dissidentes n’osent s’exprimer. Et puis on se lance. On découvre dans la foulée que d’autres font de même. Alors nous nous sentons moins seuls à ressentir et exprimer cette gêne intense. Revenir à la raison. Ne pas nous laisser submerger par une émotion collective. Laisser l'union sacrée dans l'histoire de la première guerre mondiale. Tu peux traîner dans la boue les objecteurs de conscience. Bah oui. Mais pas sans avoir lu tous nos textes in extenso. Pas seulement ces extraits. Comprends à la lecture de cet ensemble polyphonique que c'est la fraternité qui nous guide. Cliquer les titres qui ouvrent sur les textes complets des extraits cités.

« Réveillons-nous ! En ce moment ceux qui ne veulent pas être sous la bannière Charlie se font taxer de tout et de rien, surtout de sans-cœur, d’extrémiste et d'adhérer aux idées des timbrés qui ont fait ça. Je suis triste pour les familles, je suis triste pour ces morts mais je n’adhérais pas à l'humour de Charlie Hebdo et encore moins à sa ligne éditoriale de ces  dernières années. » (Une anonyme sur la toile)

« La lecture simplifiée à l’extrême par les médias  de cette journée du 7 janviers 2015 va se résumer et s’imprimer dans de nombreux cerveaux par l’attaque meurtrière contre un journal « de gauche » par des Musulmans. Cela va déstabiliser et retourner des positionnements politiques. La peur, la colère, la tétanie, l’incompréhension, la panique morale vont chez certains laisser largement place à la haine. »

Olivier Cyran a été neuf ans journaliste à Charlie avant de claquer la porte. Il a publié le 5 décembre 2013 un long texte qui conserve tout son intérêt. 
« Le pilonnage obsessionnel des musulmans auquel votre hebdomadaire se livre depuis une grosse dizaine d’années a des effets tout à fait concrets. Il a puissamment contribué à répandre dans l’opinion « de gauche » l’idée que l’islam est un « problème » majeur de la société française. Que rabaisser les musulmans n’est plus un privilège de l’extrême droite, mais un droit à l’impertinence sanctifié par la laïcité, la république, le « vivre ensemble ». Et même, ne soyons pas pingres sur les alibis, par le droit des femmes – étant largement admis aujourd’hui que l’exclusion d’une gamine voilée relève non d’une discrimination stupide, mais d’un féminisme de bon aloi consistant à s’acharner sur celle que l’on prétend libérer. »

« Par cette attaque, les islamistes visent certainement en premier lieu la population française d’origines maghrébine et africaine. Ils tentent de l’acculer dans une position intenable pour l’amener à choisir entre la peste et le choléra. Soit elle rase les murs et soutient une République qui lui crache à la figure depuis trop longtemps et continuera de le faire, soit elle se soumet aux réactionnaires intégristes qui prétendent la protéger et lui rendre sa fierté. Dans les deux cas il n’est plus question d’aucune liberté. »

« C’est depuis longtemps aussi que j’essaie de comprendre comment font les jeunes issus des quartiers « défavorisés » (le mot est joli) pour rester aussi « sages » malgré le racisme élevé au rang d’institution, malgré leurs conditions de vie dans des ghettos, malgré le chômage endémique, malgré la misère, malgré le harcèlement policier. […] Quoi d’étonnant, finalement, que certains d’entre eux, plus désespérés que les autres, soient partis en Syrie ou ailleurs mener une guerre qui n’était pas la leur ? […] Je me souviens du ministère dégueulasse baptisé de « l’identité nationale ». Des propos de Sarkozy sur les Noirs pas rentrés dans l’histoire, d’Hortefeux sur les Auvergnats, de Valls sur le manque de Blancos. Je me rappelle cette loi qui sous couvert de « défense de la laïcité » n’ostracisait que les Musulmans, forcément intégristes. » 

« Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous rappelle que les émotions sont tout sauf des réactions spontanées. En effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si « psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens. Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politique dont il importe de comprendre la nature pour bien mesurer leurs effets. »

« Je suis les Femmes, je suis les Noir.e.s, je suis les Trans, je suis les Handicapé.e.es, je suis les LGBTQIA+, je suis les Musulman.e.s, je suis les BDS, je suis les Chinois, je suis les Palestinien.e.s, je suis les Libanais.es, je suis les Rroms insulté.e.s et méprisé.e.s par un journal de pompiers pyromanes qui a fait de la haine et du mépris son fond de commerce au même titre qu'un torchon comme Minute. Je condamne cet attentat aveugle et immonde, je paie mon hommage aux victimes mais je condamne toujours Charlie Hebdo. Désolé, je suis (avec) les victimes, je ne suis pas Charlie. » (Un anonyme sur la toile)
———

Avec mes remerciements à tous ceux qui m'ont envoyé ces liens et bien d'autres. Vous n'aurez pas ma fleur, François Béranger.

12 commentaires:

  1. Merci pour ce nouveau texte. Je suis les victimes....... très bien cette phrase . je me disais justement que j'étais aussi les ouvrières mortes dans les usines , les migrant(e)s mort(e)s en méditerranée ou ailleurs, les mort(e)s dus au changement climatique etc etc
    un nouveau lien
    http://paris-luttes.info/frederic-boisseau-42-ans-agent-d-2408

    Carole

    RépondreSupprimer
  2. et un autre lien

    http://www.fakirpresse.info/Le-poison-de-l-union.html

    Carole

    RépondreSupprimer
  3. Je le suis même si je partage bon nombre de point de ce texte....

    RépondreSupprimer
  4. Petite précision. Ce n'est pas UN texte mais un ensemble de citations dont on lira les textes complets en cliquant sur les titres.

    RépondreSupprimer
  5. OK, mais le "Je suis Charlie" qui s'affiche un peu partout, je pense qu'il sert d'étendard à ceux qui comme toi, comme nous, pensent aussi aux "victimes collatérales", mortes, blessées, survivantes, rescapées... et condamnées à vie au trauma. C'est en tout cas comme ça que nous l'assumons, ma compagne qui est artiste, ma famille, et moi. Nous avons beaucoup parlé de ce qui s'est passé, nous nous souvenons des quelques 5000 victimes innocentes de l'attaque du 11 septembre, sur laquelle la lumière ne sera jamais faite...
    Non la France n'est pas innocente dans ce qui vient de se passer. Si Valls, Hortefeux, Sarko, et avant eux Chirac dans son fameux "discours des odeurs" ou Chevênement dans son évocation des "sauvageons", ont tenu les propos xénophobes que l'on sait, c'est parce que cela répond à une demande d'un certain électorat suffisamment nombreux pour que ces gens-là le caressent dans le sens du poil.

    Il y a un échec flagrant des politiques d'intégration, il y a une incapacité de la France à intégrer tout ce qui n'entre pas dans ses tiroirs pré-formatés, il y a aussi, soyons courageux de le reconnaître, un phénomène d'acculturation que l'on doit en grande partie à cette fichue "exception culturelle" franco-française, qui n'a jamais produit que la médiocrité du top 50, de la Starac' et consorts, et précipité sur le devant de la scène des minables de l'acabit de Zemmour, Houellebecq, Nabe, et autres Nicolas Bedos, sans parler des pitoyables cliques qui fabriquent le cinéma français d'aujourd'hui. Cela va peut-être loin, ma réflexion, mais je suis comme vous, j'essaie de comprendre dans mon coin le pourquoi du comment de ce qui est en train de nous arriver...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Gavroche, dont je cite un bout du billet intitulé "je ne suis pas Charlie", met en lien un texte du maire de Clichy-sous-Bois qui explique la montée des rancœurs.
      http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/04/10/moi-claude-dilain-maire-de-clichy-sous-bois-j-ai-honte_1331612_3224.html
      Quand on voudra se débarrasser du terrorisme, y'aura qu'à réparer les ascenseurs, offrir des emplois et des revenus dignes, enfin pour faire court redonner la dignité à tous les manants...

      Mon refus du "Je suis Charlie" n'est qu'une manière de provoquer le débat. Et je ne me fâcherai pas avec mes copains qui participent aux manifs, minutes de silence et allumage de bougies. ;o) Même si je suis un peu étonné d'apprendre qu'un pote, un vieux de LCR-NPA, y était aujourd'hui.

      Supprimer
    2. "Quand on voudra se débarrasser du terrorisme, y'aura qu'à réparer les ascenseurs, offrir des emplois et des revenus dignes, enfin pour faire court redonner la dignité à tous les manants..."

      100% d'accord. Mine de rien, avec leur conneries libérales, depuis vingt ans, on est en train de se refaire les années 30. Crise analogue, et vaine quête d'un Messie parce que nous, le populo, murés que nous sommes dans la résignation et la trouille de l'autorité bureaucratique, ne sommes plus foutus de lever des barricades et de déboulonner les nuisibles.

      Supprimer
    3. Jeremy, ne devons-nous pas remonter.... aux canuts ? Le bond en arrière de notre environnement social est indescriptible pour qui a vécu suffisamment.

      Supprimer
  6. finalement, il y a pas mal d'articles sur le fait d'aller ou pas à la manif , j'en ai encore trouvé sur Politis , sur les Crises d'Olivier Berruyer
    avec un humour bien caustique sur les dirigeants défenseurs de la liberté d'expression venant demain!

    Carole

    RépondreSupprimer
  7. J'hésitais également jusqu'à ce matin à y aller ou non (pour les mêmes raisons - grosso modo - que toi et que ceux que tu cites dans ce billet, voir mes 2 billets à ce sujet).
    Et puis j'ai trouvé ma solution.
    Je raconterai probablement dans un nouveau billet ce soir.

    RépondreSupprimer
  8. Ouf , ça fait plaisir de voir des réactions à cette effusion complètement crétine !
    Défense de la liberté d ' expression ?
    Liberté d ' expression ?
    Chacun-e de s ' endormir sur le Confort grassouillet de l ' inégalité sociale , culturelle , mondiale -
    Beurk ! tout ça est écœurant !
    Le pauvre en bas de chez moi va encore ce soir fouiller dans les containers pour essayer de trouver quelques croûtes à sucer -
    Les pauvres bougres au sahel vont encore essayer de calmer les cris du bide en confectionnant des galettes de terre !
    De pauvres gars-filles vont encore se flinguer ce soir , tellement cette culture est désespérante .
    Je me suis malencontreusement trouvé sur le lieu aujourd ' hui de la manif de la petite ville où je suis - Je m ' en suis écarté au + vite - J ' avais tellement honte !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dimanche, j'étais à Paris, revenant d'un conseil national de parti qui a dû effacer le mot "gauche" de son répertoire, tant il tient à rester social dans ses préoccupations le splus importantes. J'ai croisé en arrivant à la gare ceux qui arrivaient avec leurs pancartes.... tout heureux qu'ils étaient !

      Non, Monde Indien,je ne voulais pas aller avec eux.Entre la "gauche" et moi, désormais, il y a un monde, celui qui sépare des postures et des slogans malodorants, de la volonté de réellement tout changer (en commençant par virer les banquiers ET leur monde).

      Pour référence, reprends (il faut toujours se remémorer les bonnes choses, elles sont si rares) la Charte de La Havane (1948), bien entendu ce sont les États-Unis qui l'ont fait capoter.

      Supprimer

Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !